Comme il est difficile de parler d’un livre qu’on aime! Une œuvre bancale, un récit un peu maladroit, une structure étrange offrent des points d’entrée faciles pour le critique un peu fainéant sur les bords. Mais quand on tombe sur un livre vraiment maîtrisé, écrit et au récit impeccable, on ne peut qu’applaudir des deux yeux, attendre la suite avec impatience et se pelotonner d’angoisse et d’admiration dans une nouvelle chronique. C’est mon sentiment avec Même pas Mort. J’ai aimé le style, la structure incroyable des temps et des récits enchâssés et l’univers. Jaworsky réussit tout de même à lier les grands aspects de la mythologie celte au sein d’une même intrigue tout en ouvrant sur une épopée politique! Ouais, Jaworsky, il a la classe intergalactique quand même! Il est français, et on est fier!
Donc en gros, l’auteur abandonne, pour un temps seulement on espère, ses chroniques de l’ancien monde (développées dans Janua Vera et Gagner la Guerre), pour mettre en place un nouvel univers. On y suit un jeune guerrier frappé d’une drôle d’affliction : il ne peut pas mourir. Pour expliquer ce sortilège (et arrêter de se faire accuser de sorcellerie à coup de cailloux), il est chargé d’aller sur une île, au-delà de l’océan où les prophétesses divines pourront lui donner des réponses. À partir de là, d’aventure en flash-back, d’exploits en souvenirs, la vie, le folklore, la culture et les rêves d’un jeune homme se dessinent. Car peut-être plus qu’une simple histoire de héros, l’auteur expose plutôt la réaction d’un homme à un monde particulier. Partout on sent le déterminisme social, culturel et familial peser, écraser et conditionner le récit. La quête de quelqu’un qui veut trouver sa place.
Chez nous les vieux sont rares. Les gens de peu ne vivent guère, fauchés par la maladie ou usés précocement par le travail; guerriers et nobles trouvent une fin rapide sous le fer ennemi; les femmes meurent souvent en couches. Comme si le regard de l’homme suivant la trajectoire d’un javelot : il s’élève loin du sol natal quand il affirme sa jeunesse et sa force, puis il fléchit insensiblement à mesure que l’élan vital s’épuise. Pour moi, l’élan s’épuise. Je suis encore très hat, tendu dans la trajectoire meurtrière qui me mènera au cœur de la phalange ennemie. Mais je ressens les premiers vertiges, l’inclinaison de la feuille de fer, séduction de la terre grasse où je viendrai interrompre enfin ma course, mon ivresse, le lot contradictoire de mes appétits et de mes incertitudes. (p144)
Quel souffle! Ce passage je le trouve très représentatif. Il y a ce style incroyable, ces images claires et efficaces, l’épaisseur dingue des personnages et la pulsion sourde du monde qui conditionne les actions et la pensée.
La belle affaire pourriez-vous me rétorquer, avec la morgue délétère de ces élites intellectuelles qui pensent que la littérature a pris fin dans les états d’âme virtuoses des madeleines. Mais justement, c’est une belle affaire! Et en plus, Jaworsky va le faire pour différents âges de son héros. Il montrera comment l’idéal guerrier celte transforme un jeune homme en héro, comment les contes et les légendes modèlent les enfants en jeunes hommes, comment les Dieux jouent avec les souverains… Ah, effectivement on est loin des Bovary qui meurent de chagrin ou des bossus qui construisent des cathédrales en chantant des airs mièvres! C’est pas vraiment le même trip! Mais ça vaut vraiment le coup!
Alors bon, n’allez pas croire que Même pas mort est un roman sur la sociologie celte… non, on a déjà les Chevaliers d’Émeraudes pour ça! Non, c’est un roman de fantaisie foutrement bien foutu, à la structure complexe et délicate, que j’ai aimé de toutes mes forces!
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