River of Stars, Guy Gavriel Kay, Pinguin Editions, 2013

Chers vous,

Voilà quelques jours déjà que j’ai terminé la lecture du dernier livre de Guy Gavriel Kay et j’hésite à vous en parler. Pour les non-canadiens anglophones admirateurs de romans historiques (soit 99 % de la population saine d’esprit), sachez que Guy Gavriel Kay est une rock star intergalactique pour le 1 % qui reste. Il très connu ici et reconnu partout dans le monde pour ses épopées asiatiques, longues et épiques qui mélangent amour, gloire et beauté (les puits de pétrole, les fondus enchaînés et le mauvais doublage en moins). Son précédent roman, Under Heaven, a connu un très vif succès, et il a donc décidé d’en faire une suite. Comme le mec est sympa (regardez s’il n’a pas une tête à bisou), il n’est pas essentiel d’avoir lui ce premier opus pour aborder le second. Ça tombe très bien, je ne l’avais violemment pas lu! C’est donc la fleur au fusil, le sourire aux lèGuy-Gavriel-Kayvres, et les lieux communs en bandoulière que j’abordais River of Stars.

Le contexte de l’histoire est original (une sorte de Chine médiévale, raffinée, complexe, magnifique et décadente aux prises avec des barbares à cheval, violents et en guerre), la structure n’est pas mal du tout (c’est un roman chorale avec une bonne trentaine de personnages) et le style, autant que je puisse juger de l’anglais est tout à fait sympathique. Donc en gros l’histoire va s’attacher à suivre les circonvolutions épiques d’une courtisane, pleine d’esprit, d’un jeune garçon, plein d’entrain, d’une poignée de magistrats, rompus aux arcanes politiques, d’un empereur obnubilé par l’art et les jardins et d’une peuplade guerrière, pleine de chevaux, de flèches et de haches diablement bien aiguisées, tout cela sur fond de romance pudique, de croisements impromptus, de poèmes doucement dérobés, de jeux politiques complexes et de flèches dans la tronche. Gros programme.

Mais peut-être, puisque vous êtes des lecteurs consciencieux, assidus et souples du périnée, vous vous demandez pourquoi j’hésitais tant à vous en parler, de ce roman (pas encore traduit en français, soit dit en passant … histoire de me la péter grave sur mon bilinguisme balbutiant). C’est une excellente question. Légitime en plus. Mais je crains cependant de vous décevoir avec ma réponse : car en fait, le livre n’est pas particulièrement bon, mais pas fondamentalement mauvais non plus. C’est un peu mou du genou, pour être tout à fait honnête. Du coup y’a pas grand-chose à en dire.

C’est épique, mais petit bras. Comment vous décrire ça? C’est un peu l’effet d’une vidéo érotique qui se charge trop lentement sur YouTube, c’est mordre goulûment dans un muffin aux bleuets et se rendre compte qu’il est aux canneberges, c’est découvrir quand on a soif qu’il reste des bières, mais qu’elles ne sont pas au frigo, ou encore donner une hache de guerre magique niveau 37 à Dora l’Exploratrive… ce n’est pas grave, ça peut être très bien quand même, mais on ne peut s’empêcher de se dire que ça aurait pu être mieux. Beaucoup mieux

Avec un si gros programme, on s’attend à des grands sentiments, à des rebondissements, des coups du sort, du tragique, des batailles … ben non, pas vraiment en fait. Les gens vont simplement suivre le destin qui a été tracé pour eux par leurs parents/société/classe sociale (rayer les mentions inutiles), les guerres tournent court très rapidement, les jeux politiques sont un peu falots faute d’opposants.

Le parti pris du roman est pourtant très audacieux : les personnages évoluent dans des sphères différentes qui s’influencent les unes les autres seulement par la bande, jamais vraiment directement. Tout le monde se croise, s’influence, s’aide, mais jamais de façon véritablement prégnante, un peu comme dans la vraie vie en fait. C’est finalement relativement rare qu’on monte une compagnie de l’anneau pour aller faire les courses (ça serait nettement plus le fun pourtant). Mais ce qui fonctionne dans la vraie vie ne fonctionne pas toujours dans un roman. Ajoutez à cela qu’il n’y a pas d’antagonistes : personne ne s’oppose jamais à personne directement. Ce roman raconte en fait comment des problèmes personnels de beaucoup de monde altèrent les existences des autres.

Cela pourrait être vraiment passionnant à suivre, et je trouve l’idée vraiment exceptionnelle. D’ailleurs, je pense que le premier quart du livre atteint véritablement ce but. C’est très elliptique, on sent profondément la pression du temps, la pression sociale, les déterminismes qui travaillent la vie des personnages. Mais voilà, ça fait patate, parce qu’objectivement, le livre ne raconte pas grand-chose d’autre que cela. On ne peut pas vraiment extrapoler une vision du monde, une métaphysique particulièrement comme dans les bouquins de Jaworsky, Beauvergers ou Tomas, non, ce livre est une suite habile d’actions et de réactions. La maîtrise est là, c’est indéniable et on se demande même souvent pendant la lecture comment l’auteur fait pour mener autant de récits simultanément sans que ça soit lourd ou flou. Mais le récit ne fait pas image, le monde décrit ne prend pas vie, l’intrigue ne s’impose pas : par manque de détails, par manque d’aspiration et surtout d’enjeux dramatiques. C’est bien fait, mais ce n’est pas esthétique.

Dans les derniers billets, je me suis attardé à vous louer les vertus des structures et du style dans les romans. River of Stars est tout à fait maîtrisé, et je suis convaincu que c’est un bon livre. C’est un bon livre qui manque de souffle, d’enjeux et qui, au final, se consomme comme un film d’avion. On en garde un bon souvenir, mais on ne le conseille à personne.

 

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